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Don’t look up vu par un découvreur de comètes (dans la vraie vie).
Je m’appelle Alain Maury et je travaille depuis le milieu des années 80 dans le domaine de la détection d’astéroïdes géocroiseurs (mot que j’ai inventé au début des années 90 vu qu’il n’existait aucun mot simple permettant de parler de ces astéroïdes_dont_l’orbite_passe_près_de_la_Terre). J’ai participé à de nombreuses réunions internationales sur le domaine, j’ai été le seul astronome européen à être invité à participer au premier rapport Spaceguard de la NASA ( https://archive.org/details/nasa_techdoc_19920025001/page/n1/mode/2up ). Depuis j’ai quitté l’astronomie professionnelle et je travaille en indépendant, gérant avec deux collègues le quatrième programme (en termes de nombre de découvertes) d’astéroïdes géocroiseurs, derrière les trois principaux, qui sont financés par la NASA. J’ai découvert mon premier astéroïde géocroiseur en 1983, et je suis d’assez loin le français qui le plus découvert d’astéroïdes, géocroiseurs ou non, et de comètes. Lorsque j'étais en France j'ai fait de nombreuses conférences publiques sur le thème de ces astéroïdes. Evidemment j'ai regardé le film avec un intérêt certain et différent des personnes dont ce n'est pas l'activité principale (soit 99.999999% du public).
Bien que le film « Don’t look up » soit plutôt une fable, une parabole traitant dans le fond du problème plus général de la manière dont les médias et le pouvoir politique gèrent les informations scientifiques, dont notamment le problème du dérèglement climatique, j’ai pensé utile d’expliquer en détail mon point de vue sur le film au niveau astronomique, vu qu’il est, je dirai presque « évidemment » bourré d’erreurs énormes.
Il est important de comprendre que la recherche est... de la recherche. Il y a bien sûr une part du savoir qui est acquise (la Terre est ronde, le soleil est une étoile, etc..) mais souvent, vu que l'on s'attaque à des problèmes non encore résolus, on ne sait pas. Ou pas précisément, et il est souvent difficile d'être affirmatif. On ne maitrise pas aussi les conséquences de ses connaissances et on évolue en fonction du temps. On découvre le DDT, on trouve ça génial, on l'utilise puis on se rend compte que finalement, ça cause plus de mal que de bien, on arrête. Entre temps il faut expérimenter, mesurer, et être assez rigoureux pour être crédible et ne pas se faire critiquer par les collègues qui pourront éventuellement trouver des erreurs dans votre démarche.
Une autre chose importante à comprendre est qu'il existe deux modes de communication scientifique. La première concerne les découvertes inutiles, ou sans applications pratiques, et qui ne causent aucun risque à l'humanité. Elles sont utiles, justifient le faible salaire des scientifiques, la vie est belle. Même si vous détectez pour la première fois des ondes gravitationnelles, prévue par Einstein (pensez donc), c'est beau, ça justifie le milliard de dollars que vous avez dépensé dans votre manipe, mais le public général s'en fout. La seconde concerne les découvertes affectant directement la vie humaine. En astronomie, il n'y a que les impacts d'astéroïdes qui font partie de cette catégorie-là, et dans les autres domaines, tout ce qui touche aux catastrophes naturelles, à l'énergie, à la santé (ou manque de...) font partie de ce domaine. En pratique, on peut être quasi sûr que notre génération n'aura pas à se soucier de ce problème. Ce type de communication, puisque de nature scientifique est souvent basée sur des probabilités, or, dans ces domaines, les gens n'ont pas besoin de probabilités mais d'être sûr. En météorologie, annoncer que demain il y a 40% de chance d'avoir de la pluie ne fait pas que les auditeurs prennent 40% d'un parapluie, ils prennent, ou pas, un parapluie. Exemple simpliste, évidemment, mais face à ce genre de problème, un président de la république (même propre sur lui et bien-pensant) peut prendre des décisions soit a posteriori inutiles, ou ne pas prendre de décisions, et a posteriori se tromper. Il peut néanmoins faire jouer le principe de précaution. Et se faire taper sur les doigts parce qu'il a acheté des millions de doses de vaccins, etc... En astronomie dans les années 90, des chercheurs ont mis au point la fameuse échelle de Turin, pour communiquer sur les risques d'impact, voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89chelle_de_Turin Qui est une échelle crétine parce qu'elle tente de rendre simple un problème compliqué. D'une part, elle a toutes les chances de ne jamais être utilisée, et si elle l'est, elle a toutes les chances de créer des paniques inutiles. Je le rappelle, les impacts d'astéroïdes sont hyper peu fréquents. Ils ont imaginé une échelle qui va de 0 à 10, 0, c'est le cas général, et 10 c'est "on va tous mourir". Blanc c'est cool, rouge c'est la fin. Evidemment elle ne prend pas en compte l'intervalle de temps entre la détection et l'impact. Un astéroïde de 100m de diamètre détecté trop tard et qui va s'écraser sur Terre dans trois jours est beaucoup plus dangereux qu'un astéroïde de 500m dont l'impact aura lieu dans 30 ans, vu que d'ici là on a tout le temps de faire quelque chose pour le dévier de sa trajectoire. Une anecdote amusante est citée de manière incomplète dans la page web. Celle de l'astéroïde Apophis découvert en Décembre 2004. Les premières observations ont montré qu'il était au niveau 2 sur l'échelle de Turin, puis d'autres observations, améliorant la qualité de l'orbite l'ont fait passer à 4. Heureusement, d'une certaine façon, c'était juste pendant les jours qui ont suivi le tsunami d'Indonésie du 26 Décembre 2004. Aucun média ne s'est occupé de cet astéroïde. On a ainsi évité une fausse panique. Les pires ennemis dans ce genre de situation sont évidemment les journalistes non informés et ne prenant pas le temps de s'informer, voulant vendre du papier et tout ce qui se trouve en marge de la réalité, les sectes apocalyptiques, complotistes et autres.
Définitions générales :
Un astéroïde est un petit corps du système solaire. Le plus gros astéroïde du système solaire est Pluton (2376km de diamètre), et il orbite au-delà de l’orbite de Neptune. Le plus gros astéroïde de la ceinture principale (entre Mars et Jupiter) est Céres (946km de diamètre). Il existe des astéroïdes dont l’orbite peut les amener à proximité de l’orbite terrestre. Le plus gros astéroïde géocroiseur est Ganymed (40km de diamètre). Les astéroïdes sont souvent pierreux, mais peuvent être métalliques ou carbonés. Une comète est relativement similaire à un astéroïde, sauf qu’elle contient des glaces (d’eau ou carbonique). Ces glaces se subliment lorsque la comète s’approche du soleil, créent une atmosphère autour de la comète, atmosphère que souffle le vent solaire pour créer la queue de la comète (voir par exemple les films que nous avons réalisés sur la comète Leonard qui vient de passer près de chez nous (https://www.spaceobs.com/en/Alain-Maury-s-Blog/Images-du-ciel/Leonard ). Là où l’orbite des astéroïdes est dans leur grande majorité inférieure à 30° par rapport au plan de l’écliptique (le plan des planètes), on trouve des comètes avec n’importe quelle inclinaison. La fameuse comète de Halley par exemple a une inclinaison de 162° par rapport à l’écliptique. On suppose donc que le système solaire est entouré d’un nuage sphérique lointain, le nuage de Oort, du nom de l'astronome hollandais qui a émis cette hypothèse, contenant des millions de comètes dont certaines viennent nous rendre visite de temps à autre. Lors de leur passage à l’intérieur du système solaire, l’orbite de ces comètes peut être modifiée par la gravitation des planètes géantes, et la période de rotation peut ainsi diminuer jusqu'à devenir une comète périodique.
Les astéroïdes géocroiseurs ont des périodes de rotation autour du soleil compris entre un peu plus de cent jours à quelques années. Seul une vingtaine (sur les 28000 connus) ont une période qui dépasse 8 ans. Il existe des comètes de courtes périodes, la plus courte étant la comète de Encke (3.4 années), beaucoup ont des orbites inférieures à une vingtaine d’années. On parle de comètes périodiques si la période est inférieure à 200 ans. D’autres comètes, en provenance du nuage de Oort ont des périodes qui se chiffrent en milliers voire centaines de milliers d’années. On a observé en 2019 pour la première fois une comète avec une orbite hyperbolique, donc ne provenant pas de notre système solaire.
Probabilité d’impact avec une comète de 10km de diamètre
Avant de parler de la probabilité d’impact sur Terre d’un tel objet, Continuons dans les généralités.
Les « petits corps du système solaire » sont très variés, allant de comètes (densité de 0.5 donc 500kg au mètre cube) à des astéroïdes métalliques (densité de 8, donc 8 tonnes au m3). La vitesse au moment de l’impact est très variable, mais ce sont surtout les comètes qui ont les vitesses d’impact les plus grandes. Dans le film la valeur de 52km/s est donnée et elle est tout à fait réaliste. Imaginons une comète sphérique (elles le sont rarement, mais pour le calcul, on va dire sphérique), de 9km de diamètre. Le volume est 4/3 de pi R3 (quatre tiers de pi multiplié par le cube du rayon), donc un volume de 382 millions de mètres cube. A 600kg du mètre cube, la comète pèse 230000 milliards de kg. A 52000 mètres par seconde, elle possède une énergie cinétique de ½ m v² soit 3.1 10^23 joules. Soit en tonnes de TNT, 74 teratonnes de TNT (teratonnes = 1 million de mégatonnes). Une comète de ce type entrant dans l’atmosphère n’est aucunement freinée par elle. Ce petit calcul simple montre que l’énergie de l’impact dépend du cube du diamètre et du carré de la vitesse. Un astéroïde de 1km de diamètre peut détruire une bonne partie d'un continent (et probablement causer d'énormes problèmes économiques au niveau mondial vu l'interdépendance de notre société actuelle), un astéroïde de 10km cause des extinctions d'espèces.
Le tout dépend de l’heure d’impact au point d’impact. La Terre se déplaçant sur son orbite à 30km/s, cette vitesse peut s’additionner ou se soustraire à la vitesse de la comète. La vitesse d'impact la plus grande est donc obtenue si la comète tombe au petit matin, et la plus faible au coucher du soleil. On peut s’en rendre compte facilement en observant des étoiles filantes, celles du soir sont plus lentes que celles du matin.
On sait depuis assez longtemps que la distribution en taille des petits corps du système solaire suit une loi exponentielle. Dit autrement il y a très peu de « gros » astéroïdes croisant l’orbite de la Terre, un peu plus de « moyens », beaucoup plus de « petits » et énormément de « très petits ». Et évidemment la fréquence des impacts sur Terre suit cette loi exponentielle. Il y a une chute permanente de très petits cailloux qui brulent dans l’atmosphère et forment les étoiles filantes que l’on voit souvent si on quitte un peu Netflix et que l’on va prendre l’air et regarder les étoiles. Chaque année la Terre reçoit environ une quarantaine de météoroïdes d’un mètre de diamètre (c’est le nom donné aux astéroïdes de moins de 5m de diamètre). Eux aussi brûlent dans l’atmosphère, créant ce que l’on appelle un bolide et éventuellement quelques météorites. Chaque siècle la Terre reçoit quelques astéroïdes dont la taille peut tourner autour d’une vingtaine de mètres, le dernier est tombé en 2013 et a explosé au-dessus de la ville sibérienne de Chelyabinsk (il suffit de chercher sur google le mot Chelyabinsk pour voir les nombreuses vidéos de l’impact). Un astéroïde d’une cinquantaine de mètres de diamètre tombe sur Terre en gros tous les quelques siècles. Un astéroïde d’une centaine de mètres de diamètre tombe sur Terre tous les quelques millénaires. Un astéroïde d’un kilomètre de diamètre tombe sur Terre toutes les quelques centaines de milliers d’années et un astéroïde d’une dizaine de kilomètres de diamètre tombe sur Terre environ une fois par centaine de millions d’années. Le dernier est supposé avoir provoqué l’extinction des dinosaures.
La grande différence entre les astéroïdes et les comètes au niveau des impacts est que les astéroïdes sont beaucoup plus nombreux que les comètes (au 10 Janvier on recense 28004 astéroïdes géocroiseurs connus, contre seulement 4435 comètes découvertes, et la grande majorité de ces comètes sont très loin de croiser l’orbite de la Terre). De plus les périodes de révolution des astéroïdes étant largement plus petits, les passages proches de la Terre sont beaucoup plus fréquents, donc probables alors que la majorité des comètes ont des périodes énormes, donc passant très rarement près de l’orbite terrestre. La très grande majorité des impacts sur Terre proviennent des astéroïdes et non pas des comètes.
Par contre, la vitesse des comètes lorsqu’elles sont proches de la Terre sont beaucoup plus grandes, et comme l’énergie cinétique varie avec le carré de la vitesse, un impact de comète peut être plus dévastateur que l’impact d’un astéroïde de la même taille. Par exemple, l’astéroïde Toutatis (découvert en France en 1989) est passé près de la Terre en 1992 avec une vitesse de 11km/s. Quelques années auparavant, la comète C/1996 B2 Hyakutake est passée à 15 millions de km de la Terre à une vitesse de 57km/s. Lorsqu’elle est au plus loin du soleil (aphélie) la comète de Halley se déplace à environ 5km/h (la vitesse d’une personne marchant normalement). Lorsqu’elle est au plus près du soleil, sa vitesse est de 55km/s.
Nous découvrons chaque année de nombreuses comètes encore inconnues. Depuis une trentaine d’années la NASA finance des programmes de recherches utilisant des télescopes dans des observatoires terrestres (dans le sens d'observatoire au sol, et non des télescopes spatiaux), afin de détecter des astéroïdes potentiellement dangereux. Le nombre des astéroïdes géocroiseurs connus augmente exponentiellement avec le temps. Evidemment, les plus gros, les plus brillants ont été découverts en premiers.
Le dernier gros astéroïdes (i.e. pour utiliser le vocabulaire hollywoodien des « planet killers ») a été découvert en 2001 et depuis aucun autre de ces astéroïdes a été découvert malgré des moyens de recherches nettement plus performants qu’il y a une vingtaine d’années. Aucun de ces astéroïdes ne présente un danger d’impact dans le siècle qui vient.
Dans les paramètres que l’on calcule lorsque l’on vient de découvrir un astéroïde est sa magnitude absolue. En astronomie la magnitude est une mesure de la brillance de l’objet. Mais celle-ci va varier en fonction de la distance à la Terre (évidemment plus loin de nous il nous paraît plus faible) et de la distance au soleil (plus loin du soleil, moins éclairé). On ramène la magnitude apparente à une magnitude absolue, que l’astéroïde aurait s’il était à la fois à 1 unité astronomique de la Terre et une unité astronomique du soleil. On a ainsi une table d’équivalence entre la magnitude absolue calculée et la taille approximative du caillou (voir https://www.minorplanetcenter.net/iau/lists/Sizes.html )
Pour les comètes, les estimations de diamètre sont beaucoup plus difficiles, vu que de la Terre on mesure l’éclat total de l’objet, et lorsque la comète est lointaine, et n’a pas encore développée une queue bien visible, et inclut l’éclat dû au noyau de la comète et sa coma (l’atmosphère) et celle-ci va dépendre de l’activité de la comète.
De ce qui précède on peut donc comprendre que pour avoir un impact « hénaurme » sur Terre, le scénariste devait prendre une comète de 10km vu que les astéroïdes géocroiseurs de grande taille (plus de 5km) sont déjà découverts et ne représentent aucun danger dans les temps qui viennent. La probabilité est vraiment infiniment faible, mais en pratique pas impossible. Il faut se souvenir qu'en astronomie, vu les périodes de temps mises en jeu, ce qui peut se passer s'est déjà passé de nombreuses fois. Si nous sommes encore ici c'est que les impacts avec des "planet killers" sont hyper peu fréquents.
La miss Dibiasky, réaliste ?
Bien que la conseillère scientifique du film soit Amy Mainzer, PI (principal investigator) du satellite WISE qui a détecté plusieurs astéroïdes géocroiseurs et comètes, toute l’histoire de la découverte de la comète dans le film ne tient absolument pas debout. Du gros n’importe quoi.
Lorsque l’on demande du temps d’observation sur un grand télescope, il est assez rare que l’astronome se déplace à l’observatoire pour être présent lorsque ses observations sont réalisées. La plupart des grands télescopes fonctionnent en mode service. Vous et vos collègues remplissez tout un tas de paperasse pour demander du temps d’observation (expliquez ce dont vous avez besoin, pourquoi, etc..). S’il est accepté par le TAC (Time Allocation Committee) vous recevez un email vous disant que votre temps d’observation a été accepté (ou pas), et ensuite vous recevez vos images éventuelles via ethernet. Si vous faites partie d'un groupe avec un programme réellement très intéressant sur un très grand télescope comme le Subaru, vous pouvez peut-être recevoir 5 à 6 nuits par an. Impossible si on découvre quelque chose de le suivre par la suite avec ce même télescope.
Clairement si vous avez du temps d’observation, vous n’êtes pas dans la coupole en train de manger un snack, attablée devant le télescope, qui lui est éclairé. Une coupole de grand télescope a un plancher réfrigéré (il y fait froid) et personne n'est admis dans la coupole pendant les observations. On est dans une salle de contrôle, encore quelques fois située à proximité du télescope, mais bien avant la mode actuelle, les astronomes font du télé travail, observant depuis chez eux.
Il est dit dans le film qu’elle cherche à détecter des supernovae. Effectivement on réalise plusieurs images du même champ, en déplaçant un peu le télescope entre chaque pose. La caméra du télescope Subaru (qui existe réellement, télescope japonais installé au sommet du Mauna Kea à Hawaii) est une caméra de 870 mégapixels, constitué d’une mosaïque de 106 détecteurs individuels (voir par exemple https://www.naoj.org/Projects/HSC/hsccamera.html ). Evidemment il existe un petit espace entre chaque détecteur. Imaginez chaque détecteur comme un carrelage dans votre salle de bain qui ne sont pas jointifs. Le fait de réaliser plusieurs images décalées entres elles permet d’additionner ensuite les images, et de faire disparaître ces petits interstices. On réalise une pile médiane, ou encore un traitement par kappa sigma qui permet aussi de supprimer ces interstices, mais aussi les traces d’impact de rayons cosmiques sur la caméra et.. Les astéroïdes et comètes qui étaient éventuellement présents sur les images mais qui se sont déplacés durant les prises de vues. Donc, là, déjà… c’est perdu.
Si on cherche des astéroïdes, on ne recentre pas du tout les images, on fait passer un logiciel qui fait une liste des sources détectées sur chaque image individuelle, puis qui compare ensuite les listes des sources pour séparer les détections entre objets fixes (étoiles et galaxies) et objets qui ne sont apparus qu’une seule fois sur une seule image à telle position. Ensuite le programme regarde parmi ces sources "transitoires" quelles sont les sources qui se sont déplacées linéairement avec le temps dans la série d'images. Donc on le voit bien les deux techniques sont très différentes, et celle qu’aurait dû utiliser Dibiasky ne lui aurait pas permis de détecter la comète.
6 mois et 14 jours…
Même en étant une chèvre en détection d’astéroïdes, le reste du scénario ne vaut pas mieux. En admettant qu’elle détecte la comète, et qu’elle n’y connaisse rien en orbitographie et dans la procédure que l’on doit suivre lorsque l’on détecte un objet que l’on vient de détecter, aujourd’hui on peut utiliser le courrier électronique et la première chose à faire serait de contacter quelqu’un qui sait… et il en existe quelques-uns à Hawaii (deux des trois programmes les plus prolifiques en découverte d’astéroïdes géocroiseurs sont à Hawaii). Le logiciel que nous utilisons traite les images obtenues automatiquement par les télescopes et classe automatiquement les détections en astéroïdes connus et astéroïdes inconnus. Il existe une base de données téléchargeable du minor planet center (MPC) qui contient les éléments orbitaux de plus de 1.1 millions d’astéroïdes connus. Si l’objet n’est pas dans ce fichier, il existe un service du MPC où vous rentrez vos observations et il vous donne tous les astéroïdes et comètes connues à proximité de votre détection. Ce qui se passe fréquemment est qu’un astéroïde a été observé quelques nuits il y a plusieurs années. Le MPC a pu calculer une orbite, forcément pas très précise, et évidemment plusieurs années plus tard il peut y avoir une assez grande différence entre la position calculée par le MPC et la position réelle de l’objet. Notre logiciel permet alors de télécharger toutes les observations de tel ou tel astéroïde, il rajoute celles que l’on vient d’obtenir et calcule l’orbite possible. Ce calcul donne la différence en position entre la position mesurée et la position calculée. Si c’est bien le même objet, le programme recalcule une orbite corrigée, et les différences entre les valeurs calculées et la position mesurées sont très faibles, sinon elles sont énormes, montrant que ce n’est clairement pas le même objet.
Si votre objet semble réel, en premier lieu vous consultez la NEOCP (https://www.minorplanetcenter.net/iau/NEO/toconfirm_tabular.html ) qui est une page web qui liste tous les astéroïdes géocroiseurs récemment découverts. Ou la PCCP (possible comet confirmation page : https://www.minorplanetcenter.net/iau/NEO/pccp_tabular.html ). Si votre astéroïde n’en fait pas partie, vous vérifiez également qu’il ne s’agit pas d’un satellite artificiel lointain. Il existe une autre page web où vous placez vos observations et le service vous donne le nom du satellite éventuel que vous avez détectez. Si tout semble encore bon, vous envoyez vos observations par courrier électronique au MPC, en précisant dans le sujet de l’email s’il s’agit d’un géocroiseur (NEO CANDIDATE) ou une comète (NEW COMET). Dans le premier cas si l’objet n’est pas identifié avec un astéroïde récemment découvert, il est placé dans les 10 minutes sur la NEOCP, et donc… en aucun cas vos observations font partie d’un éventuel secret défense du gouvernement américain gardé par des enfoirés de généraux qui se font de l'argent de poche en vous revendant des paquets de chips qu'ils ont obtenus gratuitement, vu que tout le monde (littéralement) peut consulter vos observations. Il existe plusieurs observatoires, professionnels et amateurs, qui vont suivre votre objet, et contribuer ainsi à l’amélioration de l’orbite. C’est un travail de la communauté des astronomes et les militaires, américains ou autres, n’ont strictement rien à voir dans le domaine.
La méthode de Gauss dont le supposé astronome parle dans le film n’est plus utilisée telle quelle depuis des lustres. C’est la base, mais celle qu’on utilisait avant les ordinateurs (d’ailleurs le brave homme fait le calcul à la main…tsss…). Il existe plusieurs logiciels qui permettent de calculer les éléments orbitaux à partir d’un jeu d’observations (il en faut comme dans la méthode de Gauss au moins trois observations). Nous utilisons un freeware qui s’appelle findorb et qui prend en compte l’effet des planètes sur le mouvement de l’astéroïde, etc… C’est largement plus évolué que la méthode de Gauss. On peut alors calculer des éphémérides, qui sont en gros le listing des positions futures de l’astéroïde. Ce listing donne aussi la distance à la Terre exprimée en unités astronomiques (UA) qui est la distance moyenne entre le soleil et la terre (donc 149 millions de km etc..). Avec le logiciel findorb, lorsque la distance à la Terre devient inférieure à un million de km, la distance est donnée en km. Voici ce que ça donne par exemple pour un des cailloux que l’on a détecté le 2 Janvier 2022
Voici les observations obtenues avec notre télescope :
2111321*KC2022 01 02.17013 08 04 16.81 -06 35 51.3 18.5 GVNEOCPW94
2111321 KC2022 01 02.17593 08 04 22.27 -06 36 35.0 19.2 GVNEOCPW94
2111321 KC2022 01 02.18165 08 04 27.66 -06 37 17.3 17.8 GVNEOCPW94
2111321 KC2022 01 02.25383 08 05 26.18 -06 45 05.7 VNEOCPW95
2111321 KC2022 01 02.25911 08 05 30.00 -06 45 35.1 VNEOCPW95
2111321 KC2022 01 02.26446 08 05 33.87 -06 46 04.7 VNEOCPW95
2111321 KC2022 01 02.28786 08 05 50.27 -06 48 07.0 18.9 GVNEOCPW95
2111321 KC2022 01 02.29314 08 05 53.92 -06 48 33.3 VNEOCPW95
2111321 KC2022 01 02.29841 08 05 57.52 -06 48 58.8 VNEOCPW95
2111321 KC2022 01 02.31454 08 06 08.64 -06 50 14.5 VNEOCPW95
2111321 KC2022 01 02.31981 08 06 12.20 -06 50 38.5 VNEOCPW95
2111321 KC2022 01 02.32504 08 06 15.78 -06 51 02.0 VNEOCPW95
Si on déchiffre la première ligne, notre programme a attribué à l’astéroïde le numéro 2111321, ensuite un astérisque, très important l'astérisque, il dit que notre observation est une découverte. Ensuite on a la date, donc 2022 01 02.17013 (en temps universel). Ensuite la position en « longitude céleste » qui s’appelle l’ascension droite (08h04m16.81s) puis la « latitude céleste », la déclinaison qui vaut -06°35 ’51.3’’ (la minute d’arc, notée « ’ » vaut un soixantième de degré, et la seconde d’arc, notée « ‘’ » vaut un soixantième de minute d’arc). Ensuite on a la magnitude apparente de l’astéroïde (18.5 dans ce cas), puis un certain nombre de codes, notamment NEOCP qui signifie que l’objet est sur la Near Earth Object Confirmation Page (NEOCP) et le code du télescope, le nôtre est W94, et après les 3 premières détections on l’a suivi plusieurs fois dans la nuit avec un autre télescope dont le code est W95. Chaque télescope utilisé pour découvrir des astéroïdes a un code. Celui du télescope Subaru serait T09 ou 266 suivant le programme de recherche utilisé.
Le problème est qu’avec un arc aussi court (mais qui serait supérieur à celui donné par les 5 images obtenues par Dibiasky), on fait passer en gros n’importe quelle orbite. Quelques heures d'observation ne suffisent pas pour caractériser l'orbite d'un objet dont la durée de rotation autour du soleil est de plus années, voire plusieurs centaines d'années. Avec 5 points il n'y a aucune manière de prédire un impact possible 6 mois plus tard. Ce n'est que bien plus tard, une fois l'objet observé dans plusieurs observatoires de par le monde que l'on pourrait parler de probabilité d'impact. Voici ce que donne par exemple les 150 premières orbites possibles calculées par le MPC pour un objet posté actuellement sur la NEOCP et qui a en gros le même arc que la comète Dibiasky. On est très très loin de pouvoir affirmer où sera l’astéroïde où la comète dans 6 mois et 14 jours… Il faut beaucoup d’autres observations par la suite (obtenues par différents observatoires, amateurs et professionnels) avant d’affiner les éléments orbitaux et de pouvoir prévoir quoique ce soit…
Il existe deux centres au monde qui ont des programmes robotiques qui prennent toutes les observations de géocroiseurs envoyés au MPC et qui calculent une probabilité d'impact. Le premier est américain : https://cneos.jpl.nasa.gov/sentry/ et le second européen : https://neo.ssa.esa.int/home Ces centres utilisent des programmes très sophistiqués pour calculer les approches futures à la Terre, et la probabilité d’impact. L’idée de base est que nous ne connaissons pas parfaitement la position de l’astéroïde dans le système solaire. Les mesures ne sont pas infiniment précises et on ne peut que déterminer une zone où l’astéroïde a de bonnes chances de se trouver. La précision typique d’une mesure astrométrique est de 0.3’’ (secondes d’arc). Si l’astéroïde se trouve par exemple à 0.1 UA (15 millions de km) ces 0.3’’ représentent 22km. S’il est à 1 UA, 220km. Donc on a une « zone » de 220km où l’astéroïde se trouve certainement (je simplifie). En fonction des paramètres orbitaux obtenus, lorsque l’astéroïde arrivera sur Terre, l’incertitude peut être largement plus grande, des centaines de milliers de km. Si toutefois la Terre est incluse dans cette zone, qu’elle représente par exemple 1% de la taille de la zone d’incertitude, on peut en déduire qu’il y a 1% de chance que l’astéroïde rentre en collision avec la Terre. Disons que c’est le principe général. Le principe général est que la probabilité de collision est nulle. Si elle n’est pas nulle, elle est très très faible. La qualité de l’orbite s’améliorant, et si la Terre est toujours incluse dans la zone, on voit la probabilité de collision augmenter, puis finalement, cette zone diminuant, excluant la Terre la probabilité retombe à 0.
Donc, lorsqu'il y a très peu d'observations sur un arc très court, la probabilité que le calcul de probabilité d'impact soit faux est très élevée. J’ai toujours considéré qu’on ne devait pas annoncer des probabilités d’impact obtenues à partir de données imprécises. Mais c’est une règle de la NASA (qui a été toujours été suspectée de « cacher la vérité », vu qu’on sait très bien que la NASA n’a jamais envoyé d’astronautes sur la lune, bla bla bla… et autres délires complotistes) que de publier tout (publier au sens de rendre public), y compris des données douteuses. Là aussi, si la collision est pour après-demain, en général le calcul peut être assez fiable, et si l’impact est pour dans 30 ans, je considère qu’on peut attendre 2 semaines afin d’avoir une orbite de qualité un peu plus fiable, qui d’ailleurs montrera à presque tous les coups une probabilité nulle d’impact, plutôt que de publier des données vaseuses. Mais bon, règle de la NASA, donc tout est publié.
Le MPC utilise une méthode de Monte Carlo pour générer 2000 jeux d’éléments orbitaux possibles. Plus l’arc d’observation (l’écart de temps entre la première et la dernière observation disponible) est court, plus l’orbite est complètement incertaine. Lorsque l'on suit un objet qui vient d'être détecté, on voit au départ que les éléments orbitaux sont très variés, puis au fur et à mesure que d'autres observations sont rajoutées, ils convergent vers des valeurs assez similaires. L'excentricité (l'ovalitude de l'orbite pour parler socialiste) en général fluctue le plus, il faut souvent attendre presque un mois pour avoir des valeurs stables. Si l'objet est vraiment très près de la Terre, si l'on peut faire une observation avec un radar (comme par exemple le radio télescope de Arecibo qui s'est détruit l'année dernière) on augmente énormément la précision de l'orbite. Dans ces cas on peut prédire très précisément, et par exemple une semaine avant l'impact avoir une idée à quelques dizaines de km près de la zone d'impact sur Terre et l'heure de l'impact. Mais 6 mois et demie avant l'impact avec seulement quelques heures d'observation, même pas en rêve.
Pour l'objet considéré plus haut, voici les 20 premières, le programme en génère 2000 :
On a sur la première ligne, le nom de l’objet, sa magnitude absolue (c’est donc un petit caillou entre 5 et 15 mètres de diamètre), ensuite les éléments orbitaux calculés, On voit que l’inclinaison i est dans les 8 degrés, l’excentricité e dans les 0.56, le demi grand axe a dans les 2 unités astronomiques. On voit néanmoins que les chiffres varient beaucoup. Nous avons eu le cas avec un objet sur une orbite cométaire (A/2021 X1) qui est d'ailleurs certainement une comète encore inactive parce que trop loin du soleil, qui passera au périhélie (au plus près du soleil) en Mai 2023, et donc la période de révolution, une dizaine de jours après la première observation variait encore entre 8.5 et 535000 années. Juste pour donner une idée de l'imprécision sur l'orbite lorsque l'on vient de détecter un nouvel objet dans le système solaire.
On peut générer les éphémérides suivantes entre le 1er et le 3 Janvier 2022, avec les éléments orbitaux les plus probables, dans le cas présent, une ligne pour chaque dixième de jour :
La colonne importante est la colonne « delta » qui est la distance terre astéroïde. On voit qu’il est passé au plus près de la Terre le 1.4 Janvier (1er Janvier à 9h40 temps universel). En gros il est passé à deux fois l'altitude des satellites géostationnaires (ou un cinquième de la distance terre lune). Et qu’une fois plus loin qu’un million de km, le programme donne la distance en UA (qui vaut environ 150 millions de km). Si on vient à découvrir un objet et que ce genre de calcul donne une approche à la Terre inférieure à son rayon (6700km) on peut prévoir qu’il y a un impact, le programme permet également de calculer la longitude et la latitude géographique de l’impact et l’heure d’impact. Depuis que l’on utilise des techniques modernes pour rechercher des astéroïdes, il y a déjà eu 3 impacts d’astéroïdes confirmés, mais heureusement des objets de petite taille. Voir par exemple https://fr.wikipedia.org/wiki/2008_TC3 et les pages suivantes (voir au bas de la page, sur 2014 AA et 2018 LA).
En aucun cas, on pourrait sérieusement prévoir un impact dans 6 mois et 14 jours avec seulement 5 observations obtenues par un seul observateur. De plus évidemment dans le film aucun autre astronome dans aucun autre pays ne découvre la comète indépendamment (vu qu’en approchant de la Terre elle est censée devenir de plus en plus brillante). Il faut comprendre qu’aujourd’hui, et grâce principalement à la NASA le ciel est scruté très attentivement et très régulièrement. Voici par exemple les parties du ciel couvertes durant le mois de décembre 2021 jusqu’à la magnitude 18 (soit pour des étoiles 68000 fois plus faibles que la plus faible visible à l’œil nu) :
Si on regarde ce qui est couvert jusqu’à la magnitude 20 (donc pour des astres 400000 fois plus faibles que l’étoile la plus faible visible à l’œil nu), on a malgré tout le diagramme suivant. En allant à la magnitude 20, on détecte sans problème une comète de 10km de diamètre à 5 UA de la Terre (comme c’est le cas dans le film).
Les gros carrés dans la partie sud du ciel sont ceux du programme MAP (que nous conduisons, Daniel Parrott, Georges Attard et moi-même). Evidemment on ne peut pas photographier le ciel de jour, donc la zone dans la direction du soleil n'est jamais couverte. C'est pour cela que la NASA prépare un satellite (NEOCAM) qui sera envoyé vers l'orbite de Venus pour détecter les astéroïdes qui passent près de la Terre, mais à l'intérieur de son orbite.
Un point de détail, une comète à 5 UA (comme dans le film lors de la découverte) n’a pas une queue aussi développée que dans le film. Mais il faut bien montrer quelque chose au public.
Bref, sans rentrer plus dans les détails, tout semble très peu réaliste dans le film. Sauf qu’il existe réellement une agence de la NASA qui s’occupe du risque d’impact des astéroïdes, voir https://www.nasa.gov/planetarydefense/organization Le responsable actuel, Lindley Johnson est bien trop « blanc de plus de 50 ans » et donc dans le film, bien qu’on ait évité la lesbienne noire handicapée, il a bien fallu qu’il soit noir. Il existe également IAWN (voir https://iawn.net/index.shtml ) dont notre programme fait partie qui est un réseau dont le but est de gérer les relations entre les scientifiques du domaine et les gouvernements. Il est plus que probable, vu la très très faible probabilité d’un impact d’astéroïde sur Terre que ce réseau soit utile un jour, mais sait-on jamais, il vaut mieux que les procédures existent même si elles ne seront jamais utiles. Dans un cas réel de détection d’un astéroïde ou comète devant impacter la Terre, la communication ne passerait par les découvreurs, qui en pratique n’ont pas pu déterminer une probabilité d’impact, il faudrait attendre d’avoir des éléments orbitaux stables, et ce serait à la NASA ou l’ESA (ou les deux) à qui reviendrait la communication, probablement aussi via l’ONU. Là aussi tout dépend de l’intervalle de temps entre ce calcul de probabilité d’impact et l’impact lui-même.
Quand un impact a lieu, 70% du temps il se produit dans un océan. Seulement 3% de la surface de la Terre est habitée. Si l’impacteur est relativement petit et si nous avons suffisamment de temps, il suffit d’évacuer la zone d’impact ou les villes côtières. Et ceci ne se fait qu’au niveau gouvernemental et probablement l’armée du ou des pays concernés. En cas d’impact avec un gros astéroïde, et avec plusieurs années entre la détection et l’impact, il serait faisable d’envisager un programme capable de dévier ou en dernière limite détruire l’astéroïde. Si cet intervalle de temps est très court, à la limite, qu’on regarde le ciel ou pas, il serait impossible d’évacuer rapidement des millions de personnes. Il existe des exercices similaires lorsque par exemple un ouragan doit frapper les Etats Unis et on voit les embouteillages monstres que cela cause.
Dans le cas décrit dans le film, en admettant qu’il ne reste que 6 mois entre la confirmation d’un impact et l’impact d’une comète de 10km de diamètre, de toute façon il serait strictement impossible de faire quoique ce soit. On peut arriver à dévier un petit astéroïde en ayant plusieurs années ou dizaines d’années devant soit, vu l’énergie cinétique de la comète, on tenterait probablement d’envoyer une ou plusieurs bombes nucléaires, mais une bombe de 10 mégatonnes contre une comète qui représente l’équivalent de 74 teratonnes de TNT, il ne faut pas espérer grand-chose. On a aucune idée de l’efficacité de l’explosion d’une bombe atomique dans le vide, donc en pratique, dans ce cas, que l’on regarde en l’air ou pas, on est cuit.
Des milliards de dollars…
Pour continuer et parler de la fin du film, toujours au niveau astronomique, personne n’imaginerait le scénario plus que débile qui consisterait à découper la comète en morceaux et laisser les morceaux en question impacter la Terre.
Il existe bien, principalement aux Etats Unis où plusieurs générations de téléspectateurs ont été porté à croire que Star Trek est un documentaire, des sociétés qui se font fort, dans le futur, d’aller « miner » des astéroïdes. On mine bien des « bitcoins » alors pourquoi pas des astéroïdes. Il est vrai que les astéroïdes métalliques possèdent de grandes quantités de métaux rares de grande valeur. Mais ils existent en très faible quantité dans les comètes. Aller chercher du matériel à 500 millions de km de la Terre dans des conditions extrêmement difficile sera toujours largement plus cher que de recycler ce qui existe déjà sur Terre. Mais bon, vu la connerie délirante de certains milliardaires qui prétendent faire vivre un million d’humains sur Mars d’ici 28 ans, ou qui prétendent nous faire vivre dans un méta-univers virtuel, pourquoi pas. Les programmes d’exploration humaine de la lune ou de mars sont absolument délirants. Le corps humain n’est pas fait pour vivre hors de la gravité et l’atmosphère terrestre. Ce genre de programme ne possède aucun intérêt si ce n’est démontrer le nationalisme de deux pays riches (les Etats Unis et la Chine). Dans les deux pays il existe un lobby très puissant qui pousse à la construction de fusées (autre nom des missiles), de satellites, etc… Pour le reste il n’y a aucun retour sur investissements positif à attendre de ce genre de programme. Dit d’une autre manière, ces programmes auront forcément des retombées économiques (développements de réacteurs nucléaires compacts par exemple), mais pour un prix nettement plus élevé que si on avait développé un programme spécifique pour le développement de réacteurs nucléaires compacts.
Une société qui ne regarde pas plus loin que le bout de la lorgnette…
S’il y a un aspect réaliste dans le film c’est la démonstration que notre société, au niveau mondial et national est gouvernée par bien peu d’intelligence. Juste retour de la démocratie. On éduque peu les habitants et ils votent sur des critères qui ne sont pas forcément les plus justes. Si on admet qu’il existe toujours une solution optimale à un problème donné ce qui dans le cas de problème complexe n’est pas évident. La plupart des critiques du film parlent d’une parabole dont le fond du problème est la non prise en cause des conséquences probables du dérèglement climatique. Or ce n’est qu’un des sujets qui pourraient être abordés. Quelques exemples :
On parle beaucoup d’économie, mais d’économie à court terme. Le long terme n’est jamais envisagé. L’horizon cosmologique d’un politicien est la prochaine élection. C’est en fait la surpopulation mondiale qui cause l’épuisement des ressources fossiles (ce qui cause et causera de nombreuses crises économiques), cause évidemment le dérèglement climatique et bien d’autres joyeusetés (extinctions de nombreuses espèces animales, etc…). Comment sera la vie sur Terre dans un siècle, ou dans 1000 ans ?
Arriver à baisser notre pollution atmosphérique de 20% pendant que la population double est parfaitement inutile. On gagne beaucoup plus à réduire la population (tout en réduisant aussi notre population). Vive les japonais.
La femme nigérienne qui met au monde en moyenne 8 enfants peut être 100% sûre que plusieurs de ses enfants n’atteindront pas la quarantaine. Soit par la famine (le Nigeria n’est pas exactement un pays de culture intensive) soit par la guerre, qu’elle soit religieuse ou pas.
Personne n’a bien su comment réagir lors de la pandémie. Les politiques tout comme les médias et certains scientifiques (à cheveux longs et blouse blanche) ont dit tout et n’importe quoi sur le sujet.
Nous avons un président qui a fermé une centrale nucléaire qui présentait peut-être une probabilité infinitésimale de causer un accident, et qui a réouvert des centrales à charbon dont on est sûr à 100% qu’elles vont injecter du CO2 qui restera dans l’atmosphère pendant des siècles. Le tout pour un vague calcul électoral avec des pseudos écolos pastèques qui ne représentent qu’un tout petit pourcentage de la population française. Je veux expliquer par-là que si dans le film la présidente est une caricature de Trump, gros crétin populiste, notre président pourtant bien-pensant a fait lui aussi d’énormes conneries poussé lui aussi par des lobbys qui ne comprennent pas forcément leur intérêt à long terme. Et on peut remonter un peu dans le passé pour voir comment le président, pourtant polytechnicien Giscard d’Estaing s’était laissé embarquer dans l’histoire des avions renifleurs…
Il y a des sujets tabous qui ne sont jamais discutés. Récemment est sorti un sujet portant sur le fait qu’un plan de 6.6 milliards de dollars suffirait pour résoudre le problème de la faim dans le monde. Actuellement le « monde » en question dépense 5 milliards de dollars chaque jour pour l’armement dont 2 pour les seuls Etats Unis. Pour faire un calcul simple, les guerres menées par les Etats Unis au moyen orient ont coûté en gros 8000 milliards de dollars et ont tué approximativement un million de personnes, soit un coût par personne assassinée de 8 millions de dollars (voir https://www.brown.edu/news/2021-09-01/costsofwar ). Evidemment les 8000 milliards de dollars sont passés dans l’économie d’armement américaine, le salaire des soldats, etc… On ne peut que comparer aux 800000 rwandais, tués en 100 jours à la machette et se rendre compte de l’inefficacité économique des guerres modernes (je suis volontairement provocateur cynique). En cas de guerre entre nations nucléaires, il est évident que c’est toute l’humanité qui perd. Donc à quoi sert de s’y préparer… ?
Revenons pour terminer au sujet des astéroïdes. A mon niveau personnel, j’ai commencé à m’intéresser sérieusement aux astéroïdes géocroiseurs et au faible risque (mais grand danger) qu’ils représentent après avoir travaillé 4 ans à l’observatoire du Mont Palomar où j’ai pu discuter et travailler avec les pionniers dans le domaine (Eleanor Helin, Gene et Carolyn Shoemaker, Tom Gehrels). En revenant en France, à l’observatoire de la Côte d’Azur (OCA) où je travaillais sur un télescope à grand champ, bien adapté à la recherche d’astéroïdes, je n’ai eu comme but que de lancer un programme de recherche efficace. Après bien des vicissitudes, on a pu lancer un programme de recherche d’astéroïdes en collaboration avec l’agence spatiale allemande (DLR) qui s’est appelé ODAS (OCA DLR Asteroid Survey). Programme qui a été fermé par suite de restrictions budgétaires côté allemand et du côté français par la nomination d’un directeur qui a passé plus de temps à faire de l’administration plutôt que de la science, et d’un directeur adjoint qui ne comprenait pas qu’on puisse dépenser de l’argent dans des télescopes vu que lui ne travaillait qu’avec des ordinateurs. Ce gros malin m'avait expliqué qu'il ne servait à rien de dépenser de l'argent à découvrir des astéroïdes, alors que "les américains" publient gratuitement leurs découvertes. J'avais tenté d'argumenter en expliquant qu'il ne servait à rien de payer des chercheurs français alors qu'il suffisait de prendre un abonnement à l'Astrophysical Journal, où les mêmes américains publiaient leurs découvertes tout aussi gratuitement. L'argument n'avait pas été compris. Lors de la première réunion après la nomination de ce directeur et le personnel de l’observatoire réalisant des observations ce directeur nous a expliqué qu’il fallait réduire le nombre de nuits observées et ne plus observer les week ends. On ne comprenait pas. Il est vrai que les week ends les astéroïdes ne passent pas à côté de la Terre. En fait, les horaires supplémentaires payés aux observateurs pour le travail de nuit étaient payés sur un compte avec lequel il attribuait des primes aux bons employés. Donc il fallait réduire les observations pour qu’il puisse faire une bonne gestion paternaliste. Avec de bons vainqueurs de cette espèce, le programme qui ne coûtait que des fifrelins à l’observatoire (3 postes et 20000 francs annuels) a été fermé, le directeur m’ayant expliqué, certainement après s’être assis et après avoir analysé la situation (sit down and assess…) que rechercher des astéroïdes ce n’est pas un programme scientifique. Certes la NASA dépense de l’ordre de 40 millions de dollars annuellement sur le sujet, mais eux, ces deux médiocres, savaient certainement mieux que les pontes de la NASA. Il y a eu un article qui est paru dans le Figaro qui parlait de la fermeture du seul programme européen de recherche d’astéroïdes, et j’ai été convoqué au siège régional du CNRS où je me suis fait remonter les bretelles sur le thème que je n’avais pas le droit de communiquer dans la presse sans l’accord antérieur de ma direction. A priori, les responsables du CNRS (donc le S veut dire Scientifique) auraient pu comprendre l’intérêt qu’il y a à détecter des astéroïdes potentiellement dangereux. J’ai été très content lorsque j’ai quitté le CNRS en 2003. Donc on voit dans cet exemple qu’il n’y a pas que les médias et les politiciens qui sont susceptibles de ne rien comprendre à une situation. Pour moi, il était évident qu’il fallait faire quelque chose dans le domaine. A l’époque nous avions construit la plus grande caméra digitale utilisée sur un télescope en Europe (4 mégapixels), et j’avais pu obtenir via une agence américaine le financement pour à l’achat de 9 de ces détecteurs ce qui aurait permis de faire un travail unique dans le domaine à l’époque. Sauf que… l’administration, le manque d’intelligence (au sens étymologique du terme, de compréhension), les jalousies, etc…
Autre exemple : L’agence spatiale européenne a des velléités de s’occuper des astéroïdes potentiellement dangereux. Je n’ai aucune idée du budget qu’elle y consacre, mais l’ensemble est d’un ridicule consommé. Ils développent un télescope révolutionnaire (disent-ils) de 1 mètre de diamètre, qui sera prêt en 2030. Voir: https://www.esa.int/Safety_Security/Flyeye_ESA_s_bug-eyed_asteroid_hunter “Our goal is that by 2030, Europe can provide early warning for hazardous asteroids larger than 40 m in size, about three weeks before any impact”. On trouve aujourd’hui des télescopes de 1m de diamètre, clé en main pour 575000 dollars. L’ESA en aurait acheté 4 ou 5 et en 3 mois ils étaient opérationnels. En 2030, le LSST de 8 mètres, le satellite NEOCAM de la NASA auront depuis longtemps cartographié tout le système solaire, et l’ESA aura peut-être, s’il fonctionne un jour (ça doit bien faire 10 ans qu’il est en construction) un télescope qui observera des astéroïdes déjà tous découverts. Cette année on a eu droit à un communiqué de presse annonçant la mise en service de deux télescopes de 50cm, dont on attend encore la première observation. On voit bien là dans un domaine scientifique, comment les scientifiques peuvent eux aussi faire du n’importe quoi. Mon expérience prouve que l'incapacité à prendre de bonnes décisions n'affecte pas que les politiciens et les journalistes.
En 1998, sont sortis deux films de fiction parlant d’impact d’astéroïdes, à savoir Deep Impact et Armageddon. Ces deux films ont permis de dégager en gros 700 millions de dollars de bénéfices. Soit plus qu’il en faudrait pour terminer un inventaire complet de ces astéroïdes potentiellement dangereux dans la réalité. A priori, il n’y a aucun astéroïde de taille importante sur une trajectoire de collision dans le siècle qui vient, mais que se passerait-il si c’était le cas.
Au niveau de l’apparence le film caricature un peu la réalité, en inversant un peu les rôles, Trump est représenté par une femme, le danger du dérèglement climatique est symbolisé par l’impact d’une comète. Un point de détail ne vous aura pas échappé. La journaliste (jouée par l’actrice Cate Blanchett) fait une drague lourde sur l’AILF (Astronomer I’d Like to Fuck, m’a fait bien rire celle-là). De ce que j’ai lu dans la presse l’année dernière, il semble que là aussi les rôles soient là encore inversés. Vous n’auriez pas entendu parler de journalistes (mâles, trop mâles…) qui auraient violé plusieurs femmes…
Pour conclure, la bêtise est universelle, et tout finit par s’arranger, même mal.
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